12 Mars 2018
Fernand Léger (1881-1955) est l’une des grandes figures de l’art moderne. Après avoir découvert à Paris en 1907 l’œuvre de Cézanne puis le cubisme de Picasso et de Braque il s’intéresse à la vie moderne et peint de 1918 à 1930, des villes et des machines, avant d’adhérer au « Tubisme » et à ses volumes déboités et autonomes. De 1930 à 1939 il revient à la figuration. Après la guerre, il s’attèle à des projets monumentaux comme celui de la décoration de l’église du Sacré Cœur d’Audincourt. Fernand Léger a peint « Les Constructeurs, état final » en 1950, un grand tableau de 2 mètres sur 3 qui décrit le travail des ouvriers sur un chantier. Nous sommes aux lendemains de la deuxième Guerre Mondiale, à une époque où s’ouvre une perspective nouvelle pour la classe ouvrière, celle de libérer l’exploitation de son travail. Membre du parti communiste depuis 1945 et jusqu’à sa mort, Fernand Léger s’engage en faveur des travailleurs dans une période euphorique qui a vu naître l’espoir utopique d’un renouveau. En traitant le thème des bâtisseurs-constructeurs, il a voulu rendre hommage à la figure de l’ouvrier, l’oublié de l’art.
Avant de réaliser cette version la plus aboutie, Fernand Léger a peint une dizaine de
toiles et réalisé de très nombreuses études préparatoires de têtes, de jambes et surtout de mains, pour individualiser ses personnages.
Dans le jeu des poutrelles colorées, des hommes au travail transportent des poutres métalliques pour construire une tour. Au premier plan quatre hommes en habits d’ouvriers du bâtiment, portent une grosse poutre tandis qu’au deuxième plan deux travailleurs s’activent, l’un sur une échelle et l’autre sur un échafaudage. Des poutres et poutrelles, des échelles, des segments de plateformes et des cordes forment la trame du tableau. Avec leurs bras musclés, les personnages ne semblent pas souffrir sous le poids de leur lourde charge ! Fernand Léger utilise ici la frontalité des éléments et supprime la perspective traditionnelle. Notons le jeu des lignes géométriques des poutres et des échelles qui s’oppose aux formes des corps robustes des personnages, des nuages et des cordes libres qui flottent sans attaches. On voit que la construction de l’édifice est impossible car les poutres ne se relient pas correctement entre elles ; cependant tout parait d’une étonnante stabilité. Le centre du tableau est marqué par l’ouvrier en position oblique, les pieds dans le vide. Le regard du spectateur est conduit du bas vers le haut du tableau comme si le peintre voulait le faire participer à la construction du bâtiment. Les couleurs primaires : bleu, jaune et rouge, posées en aplats et sans nuances, rythment gaiement l’ensemble de la composition. Les branches d’arbres et les nuages vaporeux donnent une note surréaliste au tableau.
Ce grand tableau engagé de Fernand Léger dialogue avec l’histoire et témoigne du combat qu’il a livré pendant presque un demi siècle pour que le monde moderne améliore le sort des travailleurs et pour que la machine puisse les aider dans leurs tâches les plus dures. Fernand Léger a été ce grand peintre qui, seul, a su parler la langue populaire et actuelle de son temps.
Brigitte Roussey