Les Demoiselles d'Avignon - Picasso

Commentaire artistique

Les Demoiselles d'Avignon, 1907 - MOMA de New York

La peinture a profondément évolué au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle français, l’académisme ayant laissé la place à une nouvelle façon de peindre en phase avec la modernité. La photographie participa à ces bouleversements car, en transmettant fidèlement la réalité, les artistes sont obligés de réinventer la peinture pour survivre. Les normes qui régissaient alors la création artistique ont été abolies pour laisser libre cours à l’innovation et à la liberté de création.

Picasso a 25 ans lorsqu’il peint en 1907 « Les Demoiselles d’Avignon », un tableau qui marqua le XXème siècle en créant un tournant décisif dans l’histoire de la peinture. Ce tableau qui met en scène des prostituées a été, par son sujet, une provocation évidente de Picasso dans le contexte moral de l’époque.

Etude, mars mai 1907 - Encre noire sur papier

Etude, mars avril 1907 - Crayon noir et pastel sur papier

« Les Demoiselles d’Avignon » est un grand tableau peint à l’huile de 243,9x233,7cm. Acheté en 1924 par le couturier et collectionneur Jacques Doucet, il entre dans les collections du MOMA de New York en 1939. Picasso mettra 9 mois pour le réaliser après avoir effectué plus de 800 études préparatoires peintes et dessinées dans des carnets. Les radiographies de la toile montrent quelques retouches apportées successivement par l’artiste à son tableau. Bien que l’on puisse le penser, le titre de l’œuvre n’évoque pas la ville papale d’Avignon mais une rue de Barcelone, la rue d’Avignon, près de laquelle habitait Picasso avec sa famille, et où se trouvait une maison close, ce qui a dû certainement marquer l’enfant.

Dès la présentation de cette très grande peinture dans les salons du couturier Poiret en 1916, les critiques se déchaînent car le public est choqué à la fois par le sujet : des filles dans un bordel, et par le style agressif qui ne cherche pas à plaire !

Initialement le tableau mettait en scène sept personnages : cinq filles de joie et deux hommes, l’un assis au centre, vêtu de bleu : c’est un marin, et l’autre en costume marron, un étudiant en médecine qui tient dans ses mains un crâne.

Puis Picasso change de cap : Il fait disparaître les deux personnages masculins pour ne garder que les cinq femmes dans le tableau final, des putains, qu’il fait regarder effrontément les spectateurs, ce qui leur donne ainsi le statu de voyeurs ! Le lieu où se passe la scène est délimité par des tentures.

Des fruits sur une table basse représentée verticalement, évoquent la nourriture destinée aux femmes. Les figures semblent figées dans les lourdes draperies aux formes anguleuses. Les corps et les visages sont schématisés et dissymétriques : les femmes inquiétantes de la partie droite ont des visages qui évoquent les masques africains très à la mode à Paris à cette époque ; pour les femmes de la partie gauche, leurs corps ont des formes un peu plus douces, sans doute influencées par l’art ibérique. Les fruits sont eux

aussi schématisés mais la grappe de raisin et la tranche de pastèque sont nettement reconnaissables. Dans le rendu des figures il n’y a pas d’ombres ni de perspectives et la composition est frontale. La palette de couleur est restreinte : des roses pâles et des ocres rouges chauds qui contrastent avec la froideur des blancs, gris et bleus des tentures. Les formes sont soulignées par des contours blancs ou noirs qui accentuent les déséquilibres des corps recherchés par l’artiste. Picasso travaille certains visages avec des hachures, comme celui de la femme en haut à droite, ce qui les rend presque monstrueux. L’atmosphère qui baigne cette scène de bordel est violente, sensuelle et érotique.

"La joie de vivre" 1906, Matisse et "Les Demoiselles d'Avignon" 1907, Picasso

Ce tableau a-t-il été conçu comme une réponse picturale à la peinture « La joie de vivre » 1906 d’Henri Matisse qui répliqua à son tour avec « La Danse » 1910, montrant une ronde inquiétante de cinq femmes dévêtues ?

« Les Demoiselles d’Avignon », une référence absolue de l'art moderne, a ouvert la voie à un nouveau courant artistique très important : le Cubisme (1908-1914), qui a déclenché une véritable révolution esthétique et une rupture dans la représentation. Avant-gardiste par son sujet et par son style, cette œuvre marqua profondément l’histoire de l’art bien qu’il ait fallu attendre une trentaine d’années pour que le monde de l’art la qualifie enfin de chef-d’œuvre.

Brigitte Roussey