22 Mars 2021
Commentaire artistique
En 1936, la Compagnie parisienne d’électricité commande au peintre Raoul Dufy (1877-1953) une œuvre importante pour décorer l’immense hall courbe du Pavillon de l’électricité à « l’Exposition internationale des Arts et Techniques dans la vie moderne » de 1937, à Paris. La peinture devra montrer aux visiteurs la force du progrès et la puissance française. L’artiste réalise une fresque immense d’environ 600m2, de forme elliptique, qui se compose de 250 panneaux en contreplaqué de 2m de hauteur sur 1,20m de largeur. Elle raconte l’histoire de l’électricité depuis l’Antiquité jusqu’à 1937, dans une succession de micro scènes, chacune pouvant être isolée. EDF offre cette œuvre exceptionnelle en 1954 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris qui l’installe dans ses murs en 1964, où elle est toujours présentée.
Le contexte de l’époque
Le contexte politique et artistique de l’époque est compliqué car il oscille entre l’insouciance des Français face aux congés payés et la réalité sombre d’une guerre imminente. La crise économique qui s’est installée alors rend ces années très difficiles.
Commencée en 1936, la peinture est achevée en 1937 après seulement 10 mois d’un travail acharné. Cette prouesse technique et le travail colossal qu’elle a nécessité sont inouïs ! La fresque raconte les étapes qui ont conduit à la découverte de l’électricité. La réalisation de cette œuvre gigantesque a été précédée par un travail important de recherches, de contacts pris auprès des scientifiques et de dessins préparatoires innombrables. L’artiste dessine ses personnages et ses motifs à la plume à partir de modèles qu’il fait poser nus puis qu’il habille en costumes de l’époque. Il réalise à l’échelle 1/10ème 250 dessins qu’il photographie ensuite sur des plaques de verre avant de les projeter sur des panneaux en contreplaqué avec une lanterne magique qui agrandit les sujets. Les scènes décrites ne sont pas toujours logiques car l'artiste juxtapose des éléments différents et parfois contradictoires entre eux, en insistant plus sur leurs aspects décoratifs que sur la réalité. Les personnages et les monuments sont traités dans un graphisme rapide ; ils sont individualisés uniquement par quelques signes essentiels.
Cette fresque pensée avec une grande liberté, est structurée en trois parties. Le centre, le plus important, est encadré par deux parties d’égale longueur. La lumière vive qui baigne les scènes est celle de l’électricité ; elle n’engendre ni ombres ni modelé. La palette est réduite car seuls 6 couleurs sont utilisées : des bleus très nombreux, des violets et des verts, pour les couleurs froides, des rouges, jaunes et oranges pour les couleurs chaudes, le bleu étant associé à la nuit, le vert à la nature, le blanc et le noir ponctuant et délimitant les motifs et les aplats de couleurs. On note aussi de nombreux dégradés de tons selon les zones, la couleur étant ici indépendante du dessin pour créer l’espace : ceci est nouveau ! Un vernis dit « Maroger »qui recouvre la surface de la peinture lui donne une grande transparence.
Analyse de la peinture
Horizontalement, la scène centrale évoque dans sa partie haute, les dieux de l’Olympe (Apollon, Athéna, Eole et Hermès) tandis qu’en bas l’on peut voir la centrale électrique de Vitry-sur-Seine ainsi qu’un train à vapeur. La « Foudre » relie les deux registres.
La partie à droite présente de nombreux savants et scientifiques d’autrefois. Des scènes agricoles et artisanales illustrent le monde d’avant l’invention.
La partie gauche raconte les années trente.
L’on y voit tout d’abord 110 savants qui forment deux cortèges chronologiques. Au-dessus, un joyeux paysage chante les bienfaits de la découverte. Une partie sombre évoque la nuit. Une nouvelle vie nocturne devient alors possible, avec ses fêtes, et de nouvelles inventions dont celle du cinéma.
La vie urbaine, traitée dans des tons froids dominés par les bleus, est symbolisée par quelques monuments importants de villes européennes (La Tour Eiffel – Saint Pierre de Rome…). Dans la partie supérieure, la déesse Iris vole au-dessus d’un aéroport et d’un orchestre. Elle fait le lien entre l’origine du monde et la modernité.
Verticalement, deux registres racontent deux histoires différentes : en haut celle des bienfaits de la découverte, en bas, les savants et leurs inventions.
La fresque se lit de droite à gauche.
Dans sa peinture très moderne pour l’époque, Raoul Dufy a montré, avec beaucoup de poésie, que l’électricité, en facilitant la vie des hommes, a bouleversé leurs modes de vie et a inauguré l’ère moderne.
Une œuvre exceptionnelle qui transmet à son public de la sérénité, de la gaîté et du bonheur !
Brigitte Roussey