2 Mai 2021
Commentaire artistique
Le grand sculpteur et graveur Alexandre Archipenko (1887-1964) a marqué par son œuvre importante la première moitié du XXème siècle français. Après une formation à l’École des Beaux-Arts de Kiev, sa ville natale, il part pour Moscou où il commence à exposer et à se faire connaître. Dès 1908 il décide de s’installer à Paris pour quelques années et fréquente la Ruche, le creuset de l’avant-garde parisienne, et rejoint en 1912 le groupe cubiste de la Section d’Or. Ses participations régulières aux Salon des Indépendants et d’Automne assoient sa renommée. C’est en 1923 qu’il s’exile définitivement aux États Unis où il vivra jusqu’à sa mort en 1964.
Le contexte artistique du moment témoigne d’une orientation de la peinture cubiste analytique vers un cubisme synthétique, suivi de près par la sculpture toujours un peu en retard sur la peinture ! Archipenko se défend d’être un artiste cubiste bien qu’une bonne partie de ses créations, certes encore figuratives, résume les principes du mouvement. Dès 1912, il base son travail sur le rôle joué par les vides qui créent les volumes simplifiés, et sur le jeu des formes concaves et convexes. La « Femme drapée » sculptée la même année, illustre ce concept. L’artiste a d’ailleurs écrit : « Dans ma sculpture, les creux ont une signification à la fois optique et psychologique tout en étant liés aux autres parties en relief.
Analyse de la sculpture
La « Femme drapée » de 1911-1912 est une sculpture en bronze qui tient une place importante dans l’œuvre d’Archipenko car elle marque le départ d’une étape capitale dans son travail. Elle mesure 565 X 30 X 31 cm et appartient à la collection du Musée d’Art moderne de Paris. En avance sur les créations de ses contemporains Duchamp Villon, Lipchitz, Picasso, Gargallo ou Laurens, elle témoigne de la richesse de l’avant-garde parisienne du début du XXème siècle.
Elle est cubiste par ses plans nets, ses arêtes vives et ses volumes acérés. Son modelé disparait au profit du morcellement du volume en de nombreuses masses qui s’entrechoquent. On peut assimiler les masses lisses à de la chair vivante tandis que les arrêtes ne sont pas sans évoquer les plis des sculptures gothiques. La lumière glisse sur le relief sans aspérités comme si elle cherchait à pénétrer dans la sculpture.
Dans la partie haute de la sculpture on note les profils fuyants des épaules de la femme et de son long cou qui porte sa tête inclinée. Ces caractéristiques sont une reprise du « Torse noir assis », une sculpture antérieure de 1909, les retours en arrière étant courants dans le travail du sculpteur. Le torse se raccorde à la large assise en donnant à la sculpture un volume pyramidal que l'on retrouve dans une sculpture voisine :
« Mer entre les rochers » ou « La Mère dans les Roches".
Citons quelques-unes des sculptures réalisées par l'artiste entre 1911 et 1918, ses années les plus fécondes : « La Boxe » 1914 – « La Femme au chat » 1911 – « Le Gondolier » 1914 – « Femme se coiffant » 1915 – « Soldat qui marche » 1917 ou « la Petite figure debout » 1916, très proche par son style de "La Femme drapée" 1912, conservée aussi au Musée d’Art moderne de Paris.
Pendant ces années, Archipenko est resté fidèle aux principes du Cubisme qui consiste à réduire le corps humain à des formes géométriques simples recomposées ensuite selon des schémas plastiques définis.
La Guerre disperse les artistes vivant à Paris. Archipenko reste dans la Capitale mais il n’innove plus et reprend son vocabulaire antérieur. Puis, avec les années, ses sculptures évoluent vers un certain "maniérisme" qui privilégie la grâce et le charme. (« Danseuses » et « Solitude féminine »…).
Alexandre Archipenko, célébré de son vivant, a laissé une œuvre séduisante, trop peut-être pour certains ! On le considère aujourd'hui comme l’une des figures majeures de la sculpture avant gardiste du premier quart de XXème siècle, celle qui a ouvert la voie à la sculpture contemporaine.
Brigitte Roussey