4 Juillet 2023
Commentaire artistique
Presque un demi- siècle après le célèbre tableau de Caravage "Les Tricheurs" 1594-95, le grand peintre lorrain Georges de la Tour (1593-1652) explore ce même sujet dans deux tableaux similaires : « Les Tricheurs à l’as de trèfle » (1630-1634), du musée Kindle de Fortworth, et « Les Tricheurs à l’as de carreau » (1636-1639) du musée du Louvre. En passant de l’un à l’autre, le peintre a transformé le rapport des formes et des couleurs en renforçant l’éclat des vêtements et des visages des trois personnages tout en assombrissant celui du tricheur. Ce thème était fréquemment traité au XVII°siècle où la morale condamnait le jeu, le vin et la luxure. Les joueurs de cartes étaient d'ailleurs menacés d’excommunication et envoyés aux galères.
L’étude se penche ici sur « Le Tricheur à l’as de carreau » du Musée du Louvre. On peut comparer cette toile à la "Diseuse de bonne aventure" conservée au Metropolitan Museum of New-York. Considérés à l’origine comme des pendants, car les deux tableaux appartenaient à un genre très en vogue à cette époque, issu de la Comedia del Arte. En les peignant, Georges de la Tour a certainement beaucoup étudié ceux de Caravage tant l’on y relève de nombreuses analogies.
Quatre personnages sont réunis autour d’une table et jouent aux cartes, une partie de prime qui est l’ancêtre du poker. Les trois joueurs et la servante ont les bouches fermées, les gestes et les regards suspendus. On joue gros ! Le personnage de gauche sort un as de carreau de sa ceinture : c’est le tricheur. Mal coiffé, il semble négligé, et il porte un juste au corps à large ceinture pour contenir les cartes.
Près de lui la servante, vue de profil, sert un verre de vin à la joueuse qui tient ses cartes de sa main gauche en faisant un geste de la main droite. Elle porte des perles en colliers et en boucles d’oreilles, qui symbolisent l’amour sensuel. C’est donc une courtisane. Le quatrième personnage, un très jeune homme au riche costume, regarde ses cartes. Sa toque porte une large plume d’autruche qui évoque l’action de se faire « plumer » !
Sur la table l’on peut voir de nombreuses pièces d’or.
La situation parait claire : le jeune homme, attiré dans le jeu par la courtisane, va être enivré puis dépouillé par le tricheur assisté de sa servante.
Ce tableau est une HST de 106X146 cm, de format horizontal. Il est conservé au Musée du Louvre, à Paris. Cette scène de genre est située dans un espace à peine suggéré par un pan de mur un peu plus clair. Comme dans l’œuvre de Caravage, le cadrage des personnages est à mi-corps, vus en gros plan, semblant se rapprocher du spectateur comme s’ils étaient sur une scène de théâtre. L’éclairage scénique latéral vient de la gauche, mais il est moins brutal que dans le tableau de Caravage, la lumière étant ici presque parallèle à la diagonale du tableau. Cette source lumineuse peut aussi bien venir d’une fenêtre que d’un grand porte-chandelles. Le plan horizontal est donné par la table, encadré par deux masses verticales : le tricheur et le jeune homme. De nombreuses formes rondes sont à relever : les têtes des personnages, les seins des femmes ou les perles, contrariées par des triangles emboités les uns dans les autres. Toutes ces formes sont accompagnées par une double arabesque, celle des mains et celle des regards, complétée par celle de la signature de l’artiste sur le bord de la table.
La palette est très riche avec des couleurs chaudes de jaune, d’ocre et de rouge foncé, ainsi que des couleurs froides de vert et de bleu concentrées sur quelques points précis. Les cartes à jouer, les vêtements clairs et la carnation des visages sont peints dans des dégradés de couleurs qui tranchent sur les autres tonalités du tableau.
L’analyse de la toile aux rayons X dévoile quelques accidents mais assez peu de repentirs. Une bande de tissu a été rajoutée à la demande d’un collectionneur qui souhaitait élargir le cadrage de la scène, ce qui était une pratique courante au XVIII°s. Les personnages étaient donc en place dès le premier jet !
Cette peinture exceptionnelle est considérée comme l’un des chefs-d’oeuvre de Georges de la Tour et de la peinture française.
Brigitte Roussey