4 Septembre 2023
Commentaire artistique
Fréquent dans l’oeuvre de Pablo Picasso, le thème de la femme en pleurs a été plusieurs fois traité par l’artiste au cours des années terribles de la guerre civile en Espagne déclarée en juillet 1936. Profondément bouleversé par les drames qui déchirent son pays, surtout par les bombardements de Lérida en avril 1937, Picasso réalise à la suite de Guernica, la même année, une série de « femmes en pleurs », des portraits de femmes de plus en plus dramatiques, dont celui-ci, le dernier à avoir été peint. Il représente Dora Maar, la nouvelle compagne et muse de Picasso après sa rupture d’avec Marie-Thérèse Walter. À la fois photographe et peintre, Dora Maar (1907-1997) a 28 ans quand Picasso en a 54. Ils se sont aimés mais leur relation violente et trop passionnée a détruit leur couple. Picasso aurait parait-il dit méchamment : « Je n’ai jamais pu la voir et l’imaginer qu’en train de pleurer » Quelle misogynie vis-à-vis d’une femme qui l’a aimé et dont l'oeuvre à cause de lui a été longtemps occultée !
Achevé le 26 octobre 1937, le tableau a été acquis par le collectionneur Roland Penrose en 1939. Volé en 1969 puis retrouvé près d’une chaudière, Penrose le confie alors à la Tate Gallery de Londres afin qu’il y soit en sécurité. Le prêt est conduit jusqu’à sa mort en 1988, date à laquelle le musée achète la toile qui fait depuis partie de ses collections.
C’est une huile sur toile mesurant 60cm de Hauteur sur 49cm de longueur ; elle est signée et datée en bas à droite.
Dora Maar vient d’apprendre la mort de son père et éclate en sanglots. Elle essuie ses larmes avec un mouchoir aux pointes acérées, qu’elle tient dans sa main gauche de ses gros doigts déformés ; ses larmes restent collées à ses paupières. Dora Maar a donc eu deux raisons pour pleurer : le deuil qu'elle vient de vivre et ses souffrances face au fascisme de Franco.
Emblème du portrait cubiste dans l’œuvre de Picasso, le tableau montre le visage fragmenté de la femme dont l’expression dramatique traduit son angoisse et son désespoir. Elle mord son mouchoir de ses dents puissantes. On remarque avec étonnement la fleur bleue sur le chapeau rouge du modèle, une présence insolite dans un contexte aussi dramatique !
Cadré de près, le portrait reçoit un éclairage violent qui amplifie la puissance de ses couleurs très vives, exaspérées, saturées de rouge, bleu, jaune et vert stridents. Le fond est formé de larges bandes jaunes donnant une certaine profondeur au tableau peint sans perspective. La matière est travaillée irrégulièrement, tantôt épaisse, tantôt lisse, en laissant apparaître par endroits quelques touches plus marquées.
Nous ne connaissons pas de dessins préparatoires proprement dit à cette peinture, à la différence de Guernica, dont elle est issue.
Très connu et beaucoup exposé, La Femme qui pleure a été présenté au MOMA à New-York lors de la grande rétrospective de 1980 consacrée à Picasso. Cette peinture puissante et dramatique a influencé de nombreux peintres américains des années 80.
Brigitte Roussey